La B R U T E

(Balise Radicale et Utopiste pour un Théâtre Ecologique)

Balise Radicale et Utopiste pour un Théâtre Écologique

guide de sortie de route pour un modèle durable de création artistique

Notre réflexion-tentative commence en 2020 avec la création de la Cie La dernière maison du village, et provient de notre besoin commun de trouver de nouvelles manières de pratiquer notre métier en cohérence avec nos engagements éthiques et en conscience de l'impact écologique de la création de spectacles.
Nous avons donc rédigé cette charte, comme un guide auquel se référer pendant nos créations pour inventer, dans la contrainte, notre pratique. C'est un document évolutif et par essence incomplet, que nous désirons rendre public pour inspirer d'autres que nous à se questionner et permettre une discussion aussi libre que possible sur ces sujets. Si l'idéal que traduisent ces exigences est très dur à atteindre, l'objectif n'en est pas moins de s'y référer autant que possible même de manière partielle pour continuer de créer en conscience. Nous finissons cette liste de balises par les questions irrésolues pour les faire exister : toute proposition et nouvelle piste de recherche est donc précieuse et bienvenue. La dernière révision de cette charte a eu lieu en septembre 2022.

Lucie Lombard et Thomas Meyer


UN - On privilégiera lors de la constitution de l'équipe les artistes et technicien·nes locaux·ales. On privilégiera également la localité pour le choix des espaces de création.

DEUX - Les spectacles ne devront engendrer aucune consommation électrique, c'est-à-dire qu'ils ne pourront comporter ni éclairage, ni vidéo, ni musique amplifiée. Seule exception : la production musculaire d'électricité est possible à condition que celle-ci ne soit pas stockée sur batteries.

TROIS - Le spectacle ne devra nécessiter aucun consommable.

QUATRE - Les décors, costumes et accessoires doivent être issus du réemploi, fabriqués avec des matériaux de récupération, ou loués/prêtés, en privilégiant les opportunités locales et donc en évitant au maximum les plateformes en lignes de petites annonces (type Vinted ou leboncoin en livraison). A défaut, les éléments manquants devront provenir de l'artisanat local.

CINQ - On privilégiera les transports en commun pour le transport des équipes : trains, ou à défaut bus ou covoiturage. Pour la diffusion, les spectacles devront être transportables en train ou en modes doux (vélo, marche, voile, radeau, pédalo, autres véhicules à propulsion musculaire...)

SIX - On cherchera à organiser la diffusion des spectacles de manière à minimiser les voyages, en privilégiant d'une part les représentations en localité et d'autre part les logiques de tournées.

SEPT - Pendant les périodes de travail, on privilégiera un régime végétarien voire végétalien, et les produits consommés (alimentaires et non-alimentaires) seront d'origine biologique et locale. On préferera les produits en vrac et on évitera les emballages. Si la nourriture est gérée par un tiers, ces questions devront être discutées pour trouver le meilleur compromis possible.

HUIT - La précarité, mais aussi tous les sujets sur lesquels, faisant silence, se fixent des rapports de domination et des déséquilibres, seront régulièrement discutés avec l'accord de toutes les personnes concernées. On s'efforcera de lever les tabous au sein de l'équipe de travail mais également auprès des partenaires et politiques.

NEUF - On observera les fonctionnements et évolutions de l'équipe (rapports entre les membres, comportements systématiques etc.) en étant particulièrement attentif·ves aux minorités¹ présentes dans le groupe ainsi qu'à la place et aux rôles qu'on leur donne, au quotidien comme au plateau.

DIX - On s'assurera de notre légitimité et de notre droit à parler des choses et à les représenter et on s'interdira tout type d'appropriation culturelle².

ONZE - On s'efforcera de garder le pouvoir collectivement sur les temporalités de la création afin de prévenir les problématiques liées au surmenage. On sera vigilant·es aux fatigues de chacun·e et on privilégiera le bien-être du groupe en dépit de l'avancée du projet s'il y a lieu, dans toutes les étapes de la création.

DOUZE - Chaque membre de l'équipe, humain et non-humain, au quotidien comme au plateau et sans hiérarchie d'aucune sorte, a droit au soin. Ce droit est une condition nécessaire à son implication dans le projet.

TREIZE - On ne fera ni partenariat ni sponsoring avec des financeurs ou entreprises condamnables sur le plan écologique et/ou éthique. Par exemple : grands groupes pollueurs, agroalimentaire non raisonné (OGM, élevage intensif, importation de produits délocalisés...), industrie pétrolière, industrie nucléaire, compagnies aériennes, constructeurs automobiles, prêt-à-porter délocalisé, etc. Liste non exhaustive à alimenter et réorganiser avec bon sens.

Point irrésolu - Quelle stratégie adopter pour la communication sur les spectacles ? (flyers, affiches, programmes de salle, etc.) Papier/solutions numériques, quels impacts ? Organisation de parades ? Cibler les publics : comment limiter le gaspillage sans discriminer ? et comment sortir de l'entre-soi, de l'élitisme ? Comment retrouver le temps de la rencontre et sortir de la logique publicitaire ?



1. Le mot minorité est employé dans un sens sociologique : sont considérés ici comme minorités « [les groupes en infériorité sociale et pas nécessairement numéraire, qui,] à cause de caractéristiques physiques [et/]ou culturelles, sont séparés des autres dans la société dans laquelle ils vivent, par un traitement différencié et inégal et qui, en conséquence, se considèrent eux-mêmes comme objet de discrimination collective. L'existence d'une minorité au sein d'une société implique la réalité d'un groupe dominant correspondant. »
Cf. Louis Wirth cité par Bernard Voutat et René Knuesel, « La question des minorités. Une perspective de sociologie politique » in Politix, n°38 « L'institution des rôles en politique », 1997, pp. 136-149


2. L’appropriation culturelle est « un mécanisme d’oppression par le biais duquel un groupe dominant prend possession d’une culture infériorisée, en vidant de significations ses productions, coutumes et traditions et autres éléments. »
Il y a donc appropriation culturelle, lorsqu’un groupe social dominant déterminé utilise ou adopte des habitudes, pièces vestimentaires, objets ou des comportements spécifiques d’une culture infériorisée.
Cf. Rodney William, « L’Appropriation culturelle », p.41 cité par Clémence Schilder

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